Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chambre à coucher. L’homme et la femme sont assis rapprochés, vis-à-vis l’un de l’autre ; la femme file, le mari dévide ; un enfant est à leurs pieds. Au fond, on voit un lit, et, dans la chambre, les objets de ménage les plus simples et les plus indispensables ; la porte ouvre sur la rue. Cette gravure donnait dans la perfection l’idée du bonheur de deux époux ; le contentement, le bien-être, et une certaine ivresse d’amour conjugal se lisaient sur les traits de cet homme et de cette femme qui se regardaient. « Plus l’on contemple cette gravure, dis-je, plus on sent de bien-être ; elle a un charme tout particulier. » — « C’est le charme de la réalité sensible, dit Goethe, dont aucun art ne peut se passer, et qui, dans les sujets de cette nature, règne dans toute sa plénitude. Au contraire, dans les tableaux d’un genre plus élevé, quand l’artiste a des tendances idéales, il lui est difficile de faire dans son œuvre la part nécessaire des sens et de la réalité, et il devient sec et froid. La jeunesse ou la vieillesse suffisent pour aider ou nuire à l’artiste ; aussi il doit choisir ses sujets d’après son âge. J’ai réussi mon Iphigénie et mon Tasso, parce que j’étais alors assez jeune pour pouvoir répandre sur un sujet tout idéal la vie de la sensibilité. Mais, aujourd’hui, des sujets aussi idéaux ne conviendraient plus à ma vieillesse, et je fais bien de choisir des sujets où les sens ont déjà leur part faite d’avance. — Si les Genast[1] restent ici, je vous écrirai deux pièces en

  1. M. et madame Genast, excellents acteurs de la troupe de Weimar. M. Genast était régisseur. Sous le titre : Extraits du Journal d’un vieux comédien (Aus dem Tagebuch eines alten Schauspieler), son fils vient de publier un livre intéressant qui donne de nombreux détails sur l’âge d’or du théâtre de Weimar. Voici entre autres une anecdote sur Goethe, qui montre bien sa manière d’agir avec les comédiens. « À la première répétition de Zénobie, Unzelmann, un des favoris de Goethe, parut avec