Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/108

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Avant tout, il s’agissait de choisir la « Pucelle d’Anvers ». Il fallait, pour tenir le rôle capital dans cette imposante mascarade, une femme unissant une physionomie avenante à un torse et à des membres sans défaut. Des traqueurs experts battirent les quartiers de la ville dans tous les sens, et principalement ces antiques venelles où s’encanaillent les dernières héritières des gouges mamelues célébrées par les coloristes rubiconds. Ils fouillèrent les antres des sirènes de l’Escaut, depuis les aquariums dorés hantés par les patriciens, jusqu’aux viviers squammeux où se déchaînent les pléthoriques amours des matelots. Il leur arriva de dénicher des comparses fort présentables, mais aucune ne se distinguait suffisamment des autres pour être exaltée. On invoquait en vain la femme rubénienne ; elle ne se montrerait plus ; qui prouvait même qu’elle eût jamais existé ? Des idéalistes que ces peintres ! Et dire que la kermesse s’ouvrait dans quatre jours !

Or, un matin que l’honorable M. Van Blinkvat, échevin de la ville d’Anvers et « vice-président de la commission des fêtes », gravissait le grand escalier d’honneur de l’Hôtel-de-Ville, tout marri des stériles recherches de ses limiers, il croisa une jeune fille qui dégringolait, avec une pétulance de chamois, les marches de marbre blanc. Un seul regard, à travers ses lunettes, avait suffi au vieux connaisseur pour reconnaître dans cette fugace apparition le prototype de la beauté anversoise.

— Arrêtez ! arrêtez ! cria-t-il avec une angoisse si grande que la fuyarde se retourna et remonta sur le perron d’où le vieux magistrat faisait d’extravagants