Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/109

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signaux d’appel. Van Blinkvat la considérait des pieds jusqu’à la tête, et plus il l’examinait, plus son visage allongé se déridait, plus ses yeux glauques se ravivaient, plus son rictus édenté ressemblait à un sourire. Il la tenait enfin, la rarissime pucelle. Non, le grand Pierre-Paul ne flattait pas l’Anversoise en peignant ses nymphes de la galerie de Médicis. L’inconnue valait le plus luxuriant des modèles abolis. La charnure, la ligne, la couleur s’harmonisaient divinement. Et, dans son enthousiasme, Van Blinkvat portait ses mains tremblantes à cette poitrine pour la palper.

— Hé, mynheer, vous vous trompez d’enseigne, je crois ! dit la belle ouvrière en le repoussant. Le vieillard retint par la robe la farouche créature et, s’excusant, il parla de l’Ommegang, de l’embarras dans lequel se trouvait la régence et principalement lui, M. Van Blinkvat, échevin des beaux-arts.

— Rosa Valk, adjurait-il, vous sauverez l’honneur de votre berceau, vous seule pouvez représenter la vierge de l’Escaut. On vous paiera ce que vous voudrez…

La jeune fille crut d’abord que le vieux monsieur noir, cravaté de blanc, perdait ses cinq sens et elle partit d’un retentissant éclat de rire. Elle, Rosa Valk, la simple trieuse de café de chez Grevel frères, monter sur le char d’Anvers, s’exposer aux regards de tous les honnêtes gens et des autres dans un costume de carnaval indigne d’une chrétienne ! M. l’échevin ignorait sans doute son mariage avec un brave garçon « du côté de l’eau » ; à preuve qu’elle venait de réclamer aux employés de l’état-civil les actes nécessaires à cette alliance ! Non,