Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/113

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se formaient aux coins situés favorablement. On se disputait le bord des trottoirs ; les nabots et les femmes se piétaient, les pères juchaient leurs marmots sur leurs épaules. Des grappes de mômes s’accrochaient aux réverbères et aux saillies des façades. Il y en avait jusque dans les gouttières. Et d’en bas, ces gamins recroquevillés, immobilisés dans des postures impossibles, semblaient des êtres chimériques, sculptés en manière de gargouilles par les primitifs francs-maçons.

Sans trêve, des vendeurs d’une voix glapissante criaient le programme de la cavalcade. Un marchand de coco ameutait les gens altérés autour de sa fontaine à clochettes. Ce pullulement humain semblait fermenter sous l’implacable soleil d’août, et il s’en exhalait comme du fond d’un brassin une vapeur aphrodisiaque où dansaient des globules d’or.

Deux heures tintèrent dans la flèche ajourée de la Cathédrale. Sur la place Verte, celle où s’élève une facheuse statue de Rubens, chargée ce jour-là à enfoncer le pavé, un mouvement oscillatoire se manifesta. Un cri de joie partit : « Les voilà ! l’Ommegang ! » Et tous les regards se dirigèrent vers l’angle du forum où débouchait la tête de la cavalcade. Un piquet de gendarmes à cheval, le sabre au clair, ouvrait la marche. Ils caracolaient, écartant la grouillante cohue.

En ce moment un jeune compagnon dont les harnais de fête bridaient sur les formes massives et athlétiques, voulut traverser la rue. La haie des fantassins, crosse au pied, le refoula sur le côté.