Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/130

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chairs soufflées, à la voix traînarde et enrouée. Le couple du ménétrier et de la cantatrice se détachent sur un paravent illustré, dans le goût des coloristes d’Épinal, des principaux sujets des mélopées que vend entre deux couplets le famélique instrumentiste. Au pied des tréteaux, s’amassent, la bouche ouverte, le nez en l’air, les paysans se rendant à l’église. Non loin de là, commercent d’autres marchands de chansons ; leur marchandise, imprimée sur un papier à chandelle, est suspendue comme du linge à sécher à des cordes longeant le mur ; et des dilettanti en sabots, de ceux qu’on invite à chanter à la veillée et aux repas de noces, passent en revue les primeurs étalées dont ils épèlent les titres. À côté de cette littérature profane, se débitent les prières de circonstance adressées au patron du lieu ; les chapelets, les médailles de dévotion, les scapulaires. Pour la modique somme de cinq centimes, on peut notamment entrer en possession de la véritable oraison de Charles-Quint ; les litanies de saint Corneille, pape et martyr, ne coûtent pas davantage.

Depuis mon séjour, le village s’est insensiblement peuplé. La foule débouche non-seulement par la route de Bruxelles, mais les pèlerins arrivent des contrées de Vilvorde, de Malines, de Louvain, voire du pays d’Anvers.

La cloche appelle les fidèles à la grand’messe de dix heures. Ils descendent des quatre côtés du pays, par les chemins de desserte et les sentes. Les blouses bleues, empesées et lustrées, redressant les dos bombés, les mouchoirs de cotonnade fixés sur la tête des paysannes par une touffe de fleurs vives, et tombant dans le cou