Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/134

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femmes ne détachent pas les yeux de l’autel et les pas des étrangers, le bruit métallique des pièces battant le plateau ou s’engouffrant dans les troncs, les quintes de toux, les pleurs des petits convulsionnaires dont les faces rouges et poupardes alarment les pauvres mères, tout ce tumulte solennel et triste ne parvient pas à troubler les dévotes endurcies et momifiées. Parfois le clairon anormal d’un coq résonne sous la voûte même de l’église. Ce cocorico part d’un coin où l’on entasse les volailles vivantes, et jusqu’à des lapins et des chevreaux, que les pèlerins apportent en offrande à saint Corneille. Mais le coq est l’animal favori du saint, à en juger par le nombre de ces « Mormons de la basse-cour » déposés dans l’église. À telle enseigne, qu’on croirait saint Corneille l’héritier d’Esculape a qui, on se le rappelle, Socrate refusa de sacrifier l’oiseau consacré.

Bientôt après j’assistais à l’épilogue de la partie religieuse de la fête : la vente à la criée des animaux offerts. Cette vente commence dans le cimetière au dernier coup de onze heures, après la grand’messe. Tandis qu’un des marguilliers ou des trésoriers de l’exploitation brandit, en la tenant par les pattes, la bestiole ahurie au-dessus de l’océan des têtes, un autre bedeau fonctionne comme commissaire-priseur et glapit la mise à prix et les enchères ; un troisième sacristain caresse sensuellement le sac de toile où tombe la manne copieuse. Sur les murs blancs de l’église, les têtes caractéristiques des vendeurs et des plus empressés des amateurs qui les entourent se détachent avec une intensité étonnante. Cette scène étrange frappe comme une évocation de mœurs disparues, de personnages d’un autre siècle.