Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/162

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il oublia le gentil couteau, étrenne de sa première fiancée… La raison revient et avec elle ressuscite toute la pure et normale passion de Kors pour Begga. Celle qui s’appelle baezine Davie fut l’atroce bénéficiaire du sortilège. Pour s’engluer aux lèvres de cette damnée, il abandonna Begga, la douce compagne ; plus tard, il fut sourd à la malédiction de l’ancêtre, il ne broncha pas lorsque Begga s’en fût avec le grand Milè, et ne trouva pas une larme pour arroser le cercueil de son père tué par sa honteuse mésalliance !

Et elle, la détestable complice de la sorcière, s’accroche encore à lui comme à la proie savoureuse ; cette goule !

La lune s’était levée, baignant la chambrette de ses rayons d’argent presque bleus.

Sous le regard de somnambule de Kors, Rika tomba, les mains tendues, pour écarter ce qu’elle sentait venir. Dans la main crispée de Kors le Noir, exsangue, le canif ouvert brillait comme pendant la nuit du charme.

Entre deux ritournelles de loure pincée et sonnée dans la salle du Cygne d’Or, la plaine muette, tragique, autour de la ferme Verhulst, fut réveillée par un dissonnant éclat de rire. En ce moment, Kors, délirant, immola sa baezine à coups de couteau… Elle tomba sans crier.

N’était-il pas dit dans l’incantation : « Je te commande, ô plante charmée, de m’amener l’homme qui me blessera comme je te blesse ? »