Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du changement qui s’opérait dans cette personne apathique et distante.

Ce visage, d’ordinaire maussade, s’illuminait d’une rajeunissante expression de bonheur. Elle faisait sentir en y répondant combien la pression des bras du danseur lui était agréable ; ses genoux touchaient fréquemment ceux du jeune homme, sa poitrine ferme et arrondie haletait contre la blouse bleue, ses yeux fiers se baignaient de moiteurs langoureuses dans lesquelles le regard de l’adolescent, irrésistiblement conjuré, se noyait longuement, et il s’échappait par ses pores, par sa bouche, dans la course giratoire de la valse, ce bouquet capiteux de la femme en folie qu’un mâle pubère ne respire jamais impunément.

Quelques secondes suffirent pour transfigurer la vieille fille et déniaiser le gars ignorant. Ils avaient tous deux dans la gorge des mots tendres qui ne sortaient pas. Des palpitations d’un mutuel désir les secouaient des cheveux aux talons. Le gars se serait oublié ; elle fut héroïque. Après la première moitié de la danse, elle s’arrêta. « En voilà assez », dit-elle. Et, comme il allait protester, elle ajouta : « Du moins pour le moment ». Et son rire de béguine effarouchée, le même que celui de Zanne et de Katto, dissonna à l’oreille du candide Baut. Comme ses sœurs, Lusse remercia d’un air pincé le danseur qui comprenait et regagna la banquette d’où la file jacassante et hoquetante des matrones et des laides observait les couples amoureusement accolés.

La poussière du parquet soulevée par la cohue et que corrigeaient à peine des aspersions réitérées, aussi