Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/50

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Le resplendissant drapeau de velours vert brodé d’or et de soie, couronné des médailles remportées aux concours et aux festivals, sur lequel on voyait un trophée d’instruments et deux mains entrelacées symbolisant la fraternité, ne fut pas reconduit ce soir-là au Bœuf bigarré, sa résidence depuis plus de quinze ans. L’impitoyable Lusse fit même réclamer le lendemain la caisse de bois noir dans laquelle, après l’avoir épousseté et détaché de la hampe, les mains virginales et froides de Zanne et de Katto l’enfermaient comme une relique.

Si l’ouverture du cabaret concurrent, de six pieds carrés plus vaste que le leur, si l’enseigne choisie pour ce local ennemi avaient irrité les vieux Domus, la défection manifeste des Entre-Nous leur portait un coup décisif. Par cette rupture, ils perdaient la plus vivante clientèle du village. Plus de répétitions prolongées, plus de teerdagen ! Warrè, du Sabot, et ses Xavériens décidèrent de se réunir chaque semaine, après le salut, au local abandonné et d’y organiser un souper trimestriel. Mais Klaes se disait que ces chanteurs sobres ne compenseraient jamais la perte des lurons de la fanfare. Outre qu’ils n’étaient pas aussi nombreux, les membres de la chapelle chorale levaient plus lentement le coude, sortaient moins et ne donneraient jamais de ces bals à tout casser qui mettent le sang en ébullition et défoncent un tonneau par heure.

Les Bœufs se consolèrent en chantant une chanson longue comme une complainte, composée sur la Béguine et le Piote, par ce farceur de Warrè. Malgré la défense du garde champêtre et de l’instituteur, les Bouvillons