Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/67

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long du chemin leurs amours exigeantes et prodigues.

Ils se livrent rarement, mais une fois donnée, leur affection ne se détache plus.

Ceux qui les dépeignent sous la figure de ragots égrillards et difformes, connaissent mal cette race. Mes rustauds de Campine évoquent plutôt les églogues des faunes bruns de Jordaens que les bambochades de Teniers, un grand seigneur qui calomnia ses manants du pays de Perck.

Ils conservent la foi des siècles révolus, fréquentent les pèlerinages, vénèrent leur pastoor, croient au diable, au jeteur de sorts, à la male-main, cette jettatura du Nord. Tant mieux. Je raffole de ces pacants. Je préfère leurs poétiques traditions, les légendes nasillées par une vieille pachtresse pendant la veillée au plus joyeux conte de Voltaire ; et leur fanatisme patrial et religieux m’émeut davantage que les déclamations patriotiques et le plat civisme des gazetiers.

Savoureux et glorieux parias, nos Vendéens à nous, puissent la philosophie et la civilisation vous oublier longtemps. Au jour d’égalité rêvé par les esprits géométriques, elles disparaîtront aussi, mes superbes brutes, traquées, broyées par l’invasion, mais jusqu’au bout réfractaires à l’influence des positivistes. Frères, l’utilitarisme vous abolira, vous et votre sauvage pays !

En attendant, moi qui ne vous survivrai pas, votre sang rouge de rebelle coulant dans ma veine, je veux, abstrayant mon esprit, m’imprégner de votre essence, m’oindre de vos truculents dehors, m’abalourdir sous les tonnes blondes des kermesses ou m’exalter à votre