Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/71

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trouve décidément trop seul depuis la mort de ta pauvre mère… J’ai dit à la famille qu’à l’avenir je n’entendais plus me séparer de toi… Tu as fait ta première communion,… tu es grand,… tu retourneras huit jours encore à la pension, le temps de plier bagages et de nous installer dans notre nouveau gîte… Bon, voilà que je trahis le secret… Enfin ! Autant te dire le tout à présent. J’ai acheté une gentille maisonnette, presque une ferme, à trois lieues d’ici… Et nous allons habiter la campagne, vivre en paysans, chausser les sabots et vêtir la blouse. Hein ? C’est ça qui va te faire pousser… Qu’en dis-tu ?… Nous ne nous quitterons plus…

J’applaudis et je gambadai autour de la chambre.

— Quel bonheur ! Toujours à deux, n’est-ce pas ? Nous ne nous quitterons plus jamais, alors ? Bien vrai ?

— Bien vrai !

Et nous scellâmes cette convention dans une longue embrassade.

Une heure après, un landau nous prenait à la porte, le père, Yana, Lion et moi.

Il faisait un de ces énervants temps d’équinoxe, dont la tiédeur et la quiétude attendrissent jusqu’aux larmes. Dans un beau ciel flamand du bleu pâle et discret de la turquoise, le soleil achevait de disperser les brumes du matin.

— Voyez-le donc, monsieur, disait Yana en me montrant, il est heureux comme un roi !

— C’est le moment de prendre de pleines portions d’air ! remarquait mon auteur. Cela ne coûte que la peine d’ouvrir la bouche !