Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/72

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Et moi, en effet, je l’ouvrais toute grande comme un bâilleur.

Mais aussi quelle différence avec l’air de la pension ; même avec celui qu’on respirait dehors, dans la cour claustrale, entre quatre hautes murailles revêches, suintant l’humidité, rongées de moisissures.

Assis, tournant le dos au cocher, mes menottes posées sur les genoux du père, je poussais des exclamations de surprise et l’étourdissais de mes questions. Il occupait le fond de la voiture, drapé dans son imposant macferlane pour se garder contre le vent. Yana s’était installée à ses côtés ; Lion courait en avant.

Après avoir longé la grand’rue du faubourg, la voiture entra en pleine campagne. Les bouquets de feuilles nouvelles rajeunissaient les troncs frustes des grands hêtres de la route. Les prairies échangeaient leur gazon jauni et flétri contre un frais tapis d’émeraude dont de superbes vaches aux flancs arrondis, les fanons balayant le sol, broutaient les pousses tendres. Les blés levant en rangs compacts promettaient des moissons généreuses. Les dernières neiges avaient gonflé les fossés se déroulant comme une moire argentée entre une double haie de saules-pleureurs et d’aunes. Lorsqu’on passait devant un jardin de plaisance, des parfums de lilas chargeaient les souffles alanguis. Des grilles aux chanceaux dorés s’ouvraient sur des avenues d’ormes ou de chênes ; la pelouse vallonnée montait vers un château au perron garni d’orangers taillés en boule. Le passage majestueux d’un couple de grands cygnes ou la chasse de ces hurluberlus de canards sillonnait et trou-