Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/73

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blait les étangs dormants, marbrés de glaïeuls et de nénufars. Je préférais pourtant les fermes moussues, flanquées de leurs granges, les volets verts fixés aux maçonneries rouges, les puits à balancier, les poules picorant le fumier. Nous croisions parfois une charrette de paysan coiffée de sa bâche blanche, qui se garait sur l’accotement.

Nous traversâmes Deurne, puis Wyneghem.

Pour la troisième fois, un svelte clocher darda sa pointe d’ardoises grises vers l’éther opalin.

— La tour de S’Gravenwezel ! s’exclama la bonne Yana

— S’Gravenwezel ! Mais c’est ton village, cela ! m’écriai-je. Est-ce là que nous allons demeurer ?

Le sourire de la chère créature répondit affirmativement.

Quelques instants après, sur l’indication de Yana, le cocher arrêta devant une ferme isolée, à un quart d’heure du gros de la bourgade.

— C’est ici chez mes parents ! dit-elle.

Je revois encore la borde sans étage, écrasée sous son toit de glui festonné de joubarbe, et la croix blanche, peinte à la chaux sur la maçonnerie, pour éloigner la foudre.

Au bruit de la voiture, toute la maisonnée accourut à la porte.

C’était le père de Yana, un sexagénaire trapu, voûté, mais de vigoureuse mine encore, le cuir ridé comme un vieux parchemin, la barbe hirsute, l’œil pétillant ; la mère, une grosse gagui, très éveillée malgré