Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/89

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ou maigres, bridant ou ballotant dans leurs gaines de drap noir, entre lesquelles se faufilent les mômes.

Tous, appâtés de merveilleux, se piètent, écoutent, — bouche bée, le nez à l’évent, les yeux dilatés, les bras croisés ou les mains sensuellement plongées dans les poches — le duo du violoneux et de la chanteuse. Pendant les interruptions, un gars mélomane échange ses deux liards contre une des feuilles bistres et il détonnera ces couplets dans les teerdagen et à la veillée.

D’où viennent ces deux hères ? Certes, ce ménétrier sortit plus récemment du Dépôt que du Conservatoire. Figure vague, sans âge, on se demande qui la ravagea le plus : du vice ou de la misère.

Quelle pensée honnête pourrait bien couver encore derrière ces yeux éraillés et battus ? Le nez crochu, la bouche veule, le menton en galoche, la barbe noire inculte, des cheveux broussailleux, des oreilles de satyre, achèvent de donner à ce visage un caractère équivoque. C’est de plus un gaillard fort efflanqué, sec et noueux, enveloppé dans un long paletot décati et rapiécé, culotté d’un piloux pisseux, chaussé de sabots jaunes, coiffé d’un feutre problématique.

Est-ce la fille de ce marmiteux, l’autre piteuse créature ? Qui se prononcerait sur son sexe si elle ne portait pas une apparence de jupon ? Elle a les hanches indécises et la poitrine plus plate que celle d’un garçonnet. Dans ce vilain museau futé, séreux et osseux, rien n’attire que deux grands yeux bleus merveilleusement limpides. Mais si vous les rencontrez, ces prunelles