Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/92

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apens diront-ils le nombre de gourmades subies par la chanteuse famélique ? Quel magistrat curieux interrogera la patiente sur l’origine de ces taches bleues ou ocre, de ces cicatrices tavelant ce qu’on voit de sa pauvre chair ?

Les gardes-champêtres pêchent par la discrétion. En ville, les policiers posent des questions embarrassantes aux artistes comme Kromme-Jak et leur portent tant d’intérêt qu’ils entendent ne plus s’en détacher.

Aussi ce gueux des champs traverse-t-il rarement les cités. Il étouffe dans ces centres trop vigilants : il leur préfère le plein air, l’espace, la grand’route, les kermesses et les réjouissances rurales ; les foires de la banlieue et à la rigueur les lundis faubouriens célébrés par des particuliers de sa trempe.

Il pourrait parcourir les yeux fermés la terre thioise depuis Ophoven en Limbourg jusqu’à Vosselaere en Flandre, et depuis Santvliet dans le polder d’Anvers jusqu’à Lennik en Brabant et Adinkerke sur mer. Pas de route impériale, provinciale ou vicinale que ses pas n’aient foulée. Dans les plantureux pâturages de Waes, les vaches meuglantes saluent chaque année ces nomades ; ils ont effarouché les halbrans peuplant les oseraies de l’Escaut au pied des Digues ; le sable du littoral pénétra leurs chaussures éculées ; ils se bottèrent dans les baissières et les schorres des polders ; les brandes de la Campine avec leur floraison lie de vin aux farouches arômes leur servent souvent de refuge ; et tous les pèlerinages les connaissent ; Dieghem, dont le bienheureux Corneille, évêque, guérit l’éclampsie ; Anderlecht, où saint Guidon préside aux chevauchées