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LES FUSILLÉS DE MALINES

leurs lèvres. Les plus argenteux se répandaient dans les « herberges » et arrosaient leur collation de quelques pots de bière. Des familles, des inséparables, des couples amoureux s’accroupissaient sur la pierre bleue des portes et dévoraient, en silence, un hareng et un quignon de pain, chacun mordant à tour de rôle, à même le pain et le poisson. Les appétits s’accordaient autant que les pensées.

En se réconfortant l’estomac, de chaudes illusions leur pénétraient au cœur. Ils ne doutaient plus de rien.

En vain, Chiel le Torse s’efforçait de garder sous les armes le contingent de Bonheyden, pour parer aux coups de surprise. Les garçons ébaudis se prélassaient dans leur consistance sanguine, s’abandonnaient aux suggestions matérielles et conciliantes de leur nature, riaient au nez de leur chef et se moquaient de ses précautions : « Allons ! Allons ! La guerre est finie ! C’est assez jouer au soldat ! » Et ils le menaient pinter avec eux.

Un tel parfum de bâfrée, de réfection jubilaire, saturait l’air à présent que Tistiet