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LES FUSILLÉS DE MALINES

regardants, tombent dans les bras l’un de l’autre, et vident leur querelle dans une longue accolade. Des camarades brouillés se regardent, se comprennent, se rapatrient et vont sceller, bras dessus, bras dessous, au cabaret, leur chaleureuse réconciliation.

Si rien n’est plus intense que l’esprit de solidarité de ces villageois, natures frustes, expansives, exubérantes et de premier mouvement, ils ne sont pas moins saturés de rancœur accumulée, d’affronts longtemps dévorés, et l’extrême exaltation sympathique côtoie la haine violente. La sève et le sang leur démangent à la fois.

Chiel le Torse parcourt les rassemblements qui continuent de trépigner et de se trémousser sur la place, avise le sapin précaire planté en face de l’église, sous prétexte d’arbre de la liberté, et, sans embarras, comme pour se faire la main, déracine ce mai républicain, et avec un moulinet le lance à dix mètres de là, par dessus les têtes effarées. Depuis longtemps ce soliveau ne représentait que du bois mort. Le tailler en pièces, entasser les bûches, y mettre le