Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/101

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sion croissante de gaieté et d’animation ; se renversant enfin, la tête en arrière, sur le banc, il partit d’un éclat de rire. C’était l’accueil fait à son œuvre artistique, c’était l’idée de son grave cousin amoureux de cette jeune fille, le commentaire de M. Brooke sur la place qu’il eût pu occuper dans la société sans l’obstacle de son indolence ! Le sentiment du ridicule que possédait Will Ladislaw animait agréablement ses traits : c’était la pure jouissance du comique sans nul mélange de ricanement ou de vanité personnelle.

— À quoi se destine votre neveu, Casaubon ? dit M. Brooke tout en marchant.

— Mon cousin, vous voulez dire, et non pas mon neveu.

— Oui, oui, cousin… mais je veux parler de la carrière, vous savez…

— Je ne puis malheureusement vous répondre d’une façon précise. En quittant Rugby, il a refusé d’entrer dans une université anglaise où je l’aurais mis volontiers, et il a préféré aller étudier à Heidelberg, ce qui n’est pas, à mon avis, un acheminement à une carrière régulière. Aujourd’hui, il désire retourner à l’étranger sans autre but spécial que le vague projet d’acquérir ce qu’il appelle de la culture, préparation à quelque chose qu’il ignore lui-même. En somme, il se refuse à choisir une profession.

— Il n’a, je suppose, d’autres moyens que ceux que vous lui fournissez ?

— Je lui ai toujours donné à entendre ainsi qu’à ses amis que je lui fournirais, dans des limites modestes, ce qui était nécessaire à son éducation littéraire et pour le mettre dans le monde sur un pied convenable. Je suis tenu de remplir les espérances que je lui ai données, dit M. Casaubon en exposant sa conduite sous le jour de la plus simple rectitude ; trait de délicatesse que Dorothée ne manqua pas de remarquer et d’admirer.

— Il a soif de voyager ; peut-être deviendra-t-il un jour