Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/208

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seulement que Farebrother était célibataire, il avait pensé le trouver chez lui dans une pièce confortable, entouré de ses livres et de ses collections. Le vicaire lui-même semblait ici un peu différent de ce qu’il était d’ordinaire, comme le sont beaucoup d’hommes, lorsqu’on les voit chez eux pour la première fois après les avoir connus ailleurs. M. Farebrother paraissait chez lui un peu plus doux et silencieux, sa mère tenant la première place dans la conversation, tandis qu’il se contentait de placer çà et là une remarque enjouée et bienveillante. La vieille dame était évidemment habituée à apprendre à ses auditeurs ce qu’ils devaient penser, et à ne regarder aucun sujet comme tout à fait bien traité si elle n’en avait eu la direction.

Elle avait tout le loisir de remplir cette fonction grâce à miss Winifred qui pourvoyait à tous les petits soins journaliers. La petite miss Noble, de son côté, portait au bras panier minuscule où elle laissait glisser discrètement un morceau de sucre qu’elle avait posé d’abord comme par hasard sur sa soucoupe ; après quoi elle regardait furtivement autour d’elle et revenait à sa tasse de thé avec un faible bruit innocent comme celui d’un timide petit quadrupède. Ne pensez pas de mal de miss Noble, je vous prie ; son panier contenait de petites provisions rognées sur la partie la plus transportable de son ordinaire et destinées à ses petits amis, les enfants des pauvres qu’elle allait visiter le matin quand le temps était beau ; nourrir et gâter toutes les créatures indigentes était pour elle une si vive, une si vraie joie qu’elle se demandait si elle n’était pas adonnée là à quelque vice séducteur. Peut-être se rendait-elle compte que souvent elle était tentée de prendre à ceux qui avaient beaucoup, afin de pouvoir donner à ceux qui n’avaient rien, et peut-être portait-elle dans sa conscience le sentiment de la culpabilité de ce désir réprimé. Il faut être pauvre pour connaître toute la volupté qu’il y a à donner !