Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/232

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forme d’un vigoureux et bruyant enthousiasme, à l’état de fermentation dans l’âme de certains artistes allemands à longs cheveux qui étudiaient à Rome, entraînant parfois dans le mouvement des idées nouvelles les jeunes gens des autres nations qui travaillaient ou flânaient à côté d’eux.

Par une belle matinée, au Vatican, un jeune homme, dont les cheveux n’étaient pas démesurément longs, mais abondants et bouclés, et dont l’équipement dénotait d’ailleurs un Anglais, venait de tourner le dos au torse du Belvédère, pour regarder le magnifique paysage de montagnes qu’on aperçoit du vestibule circulaire voisin. Il était assez absorbé dans cette contemplation pour ne pas remarquer l’approche d’un jeune Allemand qui venait à lui d’un air animé, et qui, lui mettant une main sur l’épaule, l’interpella avec un accent prononcé : « Venez vite par ici Pourvu qu’elle n’ait pas déjà changé de pose ! »

Les deux jeunes gens passèrent rapidement auprès du Méléagre, se dirigèrent vers la salle ou l’Ariane couchée, alors appelée la Cléopâtre, repose voluptueusement dans sa beauté de marbre, entourée des plis harmonieux de sa draperie, comme d’une tendre corolle. Ils arrivèrent à temps pour voir, appuyée contre un piédestal, auprès du marbre blanc de l’Ariane, une autre statue vivante, qui ne pâlissait pas à côté de l’Ariane, une jeune femme habillée de draperies grises, à la façon des quakers ; son long manteau, agrafé au cou, était rejeté de chaque côté des épaules ; elle avait la joue appuyée sur sa main, dégantée, et de forme admirable, son chapeau de castor blanc légèrement repoussé en arrière et faisant à un visage une sorte d’auréole, autour de ses cheveux noirs, simplement tressés. Elle ne regardait pas la statue voisine ; ses grands yeux fixaient rêveusement un rayon de lumière qui venait tomber sur les dalles. Aussitôt qu’elle s’aperçut de la présence des deux étrangers qui s’étaient arrêtés brusquement, comme pour contempler la