Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/234

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— Fâché ! Quelle sottise ! Je ne l’ai jamais vue qu’une fois et encore pendant deux minutes, quand mon cousin me l’a présentée avant mon départ d’Angleterre. Ils n’étaient pas mariés alors. Je ne savais pas qu’ils dussent venir à Rome.

— Mais, à présent, vous irez les voir ; vous découvrirez bien leur adresse, puisque vous savez leur nom. Voulons-nous aller à la poste ? Et puis vous pourrez leur parler du portrait.

— Le diable soit de vous, Naumann ! Je ne sais pas du tout ce que je ferai. Je ne suis pas aussi enflammé que vous.

— Bah ! c’est parce que vous n’êtes qu’un amateur, un dilettante. Si vous étiez artiste, vous verriez dans madame Petite-Cousine la forme antique animée par le sentiment chrétien, une sorte d’Antigone chrétienne, la force physique tempérée par la passion spirituelle.

— Oui, et je verrais aussi que le but principal de son existence était de vous servir de modèle, la divinité atteignant le plus haut degré de perfection, uniquement parce que vous aurez couvert de couleur votre morceau de toile. Amateur tant que vous voudrez. Mais je ne pense pas que tout l’univers tende et converge à l’obscure signification de vos tableaux.

— Mais si fait, mon cher ! L’univers y tend, jusque dans ma personne, à moi, Adolphe Naumann : cela est évident, dit le bon peintre posant sa main sur l’épaule de Ladislaw, et sans se laisser déconcerter par l’accent inexplicable de mauvaise humeur qui perçait dans le ton de son ami : Voyez un peu ! Mon existence présuppose l’existence de l’univers, n’est-ce pas ? Ma fonction est de peindre, et, en qualité de peintre, je me fais une conception générale de votre arrière-grand’tante ou arrière-grand’mère, comme motif de peinture ; par cela même, l’univers se rattache à mon tableau, à l’aide du crochet ou de la pince qu’il a créée sous la forme de mon être, n’est-ce pas clair ?