Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/238

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, Rome peut être encore le centre et le miroir du monde. Mais qu’ils veuillent bien concevoir un contraste historique de plus : qu’ils se représentent les révélations gigantesques de toute sorte tombant tout d’un coup de cette cité impériale et papale sur toutes les idées d’une jeune fille élevée dans le puritanisme de la Suisse et de l’Angleterre, nourrie d’histoires protestantes, arides et étroites, ne connaissant guère de l’art que la petite peinture de demoiselle, d’une jeune fille qui, avec sa nature ardente, employait le peu de science qu’elle possédait à se former des principes, pour y conformer ses actes, dont les émotions rapides donnaient immédiatement aux choses les plus abstraites le caractère d’un plaisir ou d’une peine ; d’une jeune fille enfin qui venait de devenir une femme, et que son acceptation enthousiaste de devoirs encore inconnus venait de plonger dans une préoccupation tumultueuse de sa destinée. Le poids de l’inintelligible Rome peut sembler léger à ces brillantes nymphes, qui n’y voient qu’un décor pour les joyeux pique-niques de la société étrangère ; mais Dorothée n’avait pas contre les impressions profondes de sa nature de semblable recours. Les ruines, les basiliques, les palais, les colosses s’élevant au milieu d’un présent avili, ou tout ce qui était vivant et animé semblait plongé dans la dégradation d’une outrageante superstition, tous ces vastes débris d’ambition terrestre ou d’idéal spirituel, confusément mêlés avec les signes manifestes de l’oubli et de la décadence, la frappèrent d’abord comme d’un choc électrique, puis s’appesantirent douloureusement sur elle, en une accumulation d’idées confuses, prête à faire déborder le flot de son émotion. Tantôt pâles, tantôt ardentes, des images s’emparaient de sa jeune âme et se fixaient, même à son insu, dans sa mémoire, préparant ainsi d’étranges associations qui devaient l’accompagner durant les années de sa maturité. Toute sa vie, quand il lui arriva de se trouver dans des états d’aban-