Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/273

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pourrais comparer au mont Albain ou au coucher du soleil vu du mont Pincio ; mais c’est une grande pitié que ces objets nobles et élevés soient si rares et comme perdus dans la masse des choses inférieures sur lesquelles les hommes ont usé leurs peines.

— Sans doute ; il y a toujours beaucoup de travail inutile et médiocre. Les plantes rares veulent pour croître un sol rare aussi.

— Oh ! Dieu ! s’écria Dorothée, saisissant cette pensée dans le courant impétueux de son âme inquiète. Je vois combien il doit être difficile de faire quelque chose de bien. Je me suis dit souvent, depuis que je suis à Rome, que, si, sur ces murailles on représentait les vies de la plupart d’entre nous, elles paraîtraient bien plus laides et plus inutiles que les peintures que nous y voyons.

Dorothée avait les lèvres entr’ouvertes comme pour continuer, mais changeant d’avis elle s’arrêta.

— Vous êtes trop jeune ; c’est un anachronisme que d’avoir de telles idées à votre âge, dit Will énergiquement et avec un rapide mouvement de tête qui lui était habituel. Vous parlez comme si vous n’aviez jamais connu de jeunesse. C’est monstrueux. On dirait que vous avez eu dans votre enfance une vision des Enfers comme le petit garçon de la légende. Vous avez été élevée dans ces affreux principes qui choisissent les plus charmantes femmes pour les dévorer, comme le Minotaure. Et maintenant vous allez partir pour être enfermée dans cette maison de pierre de Lowick. Vous y serez enterrée vivante. J’en deviens fou rien que d’y penser ! J’aurais mieux aimé ne jamais vous voir plutôt que de me représenter votre vie là-bas.

Wili craignit encore d’être allé trop loin. Mais c’est toujours notre propre sentiment qui interprète ce qu’on nous dit, et le cœur de Dorothée, qui s’était toujours donné avec tant d’ardeur aux autres et n’avait jamais en retour reçu