Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/275

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reux de rester sur la réserve. Il n’est pas orientaliste, vous savez ; il ne prétend pas à autre chose dans cette branche-là qu’à une science de second ordre.

— Mais il y a, sur l’antiquité, des ouvrages pleins de valeur qui ont été écrits il y a bien longtemps par des savants qui ne connaissaient rien de ces richesses modernes ; et ils servent encore. Pourquoi le livre de M. Casaubon n’aurait-il pas la même valeur que ceux-là ? dit Dorothée avec une énergie où perçait un léger reproche.

— Cela dépend de la direction et du sujet choisis, répliqua Will. Le travail que M. Casaubon a entrepris est sujet à autant de changements que la chimie : de nouvelles découvertes y amènent constamment de nouveaux points de vue. Qui est-ce qui a besoin d’un système basé sur les quatre éléments ou d’une réfutation de Paracelse ? Ne voyez-vous pas qu’il ne sert à rien de ramper péniblement sur les traces des hommes du siècle dernier, et de redresser leurs erreurs, de vivre dans un grenier à débarras, et de fourbir, pour les remettre au jour, des théories boiteuses sur Chus et Mizraïm ?

— Comment pouvez-vous en parler si légèrement ? dit Dorothée, avec un regard moitié chagrin moitié colère. Si c’était comme vous le dites, y aurait-il rien de plus triste que de voir tant de labeur opiniâtre dépensé en pure perte ? Je m’étonne que vous n’en soyez pas plus affecté, si vous pensez réellement qu’un homme comme M. Casaubon, de tant de facultés, de science et de bonté, pourrait échouer dans la poursuite de ce but auquel il a consacré les plus belles années de sa vie ?

Elle commençait à s’en vouloir à elle-même d’en être arrivée à une telle supposition, et à s’indigner contre Will de l’y avoir amenée.

— Vous m’avez interrogé sur le fait et non sur mon sentiment, dit Will. Mais, s’il vous plaît de me punir pour le