Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/288

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une forme ou sous une autre ; car le petit emprunt, dont il avait parlé à son père pour lui faire réclamer le certificat de Bulstrode, était une raison de plus pour ne pas lui demander maintenant de payer sa dette actuelle.

Fred prévoyait bien que la colère de M. Vincy ne voudrait rien entendre, et qu’il aurait beau nier d’avoir emprunté de l’argent en invoquant le testament de son oncle, il n’en serait pas moins traité de menteur, et Fred se piquait de rester toujours pur de mensonges et de fausses histoires. On le voyait souvent hausser les épaules et faire une grimace significative à ce qu’il appelait les petites menteries de Rosemonde (il n’y a qu’un frère pour avoir de telles idées sur une si charmante jeune fille) ; plutôt que d’encourir l’accusation de fausseté, il eût supporté toute espèce de gêne et d’ennui ; et c’était sous l’empire de ce sentiment qu’il avait pris le sage parti de déposer les quatre-vingts livres entre les mains de sa mère. Il eût mieux fait encore de les remettre tout de suite plutôt à M. Garth ; mais il avait l’intention de compléter la somme en y ajoutant soixante livres, et c’était pour cela qu’il en avait gardé vingt dans sa poche comme une sorte de semence qui, plantée à propos au bon endroit et arrosée par la chance, pourrait rapporter au moins le triple de sa valeur ; pauvre calcul, quand le champ à ensemencer n’existe que dans la confiante imagination d’un jeune homme !

Fred n’était pas joueur ; il était exempt de cette maladie particulière où la concentration de toute notre énergie nerveuse sur un hasard ou sur une chance quelconque devient pour nous une nécessité comme l’alcool pour l’ivrogne ; le plaisir qu’il y prenait n’avait rien de commun avec ce genre de passion. Il aimait le jeu, surtout le billard comme il aimait à chasser, à courir un steeple-chase, un peu plus encore peut-être, s’il avait besoin d’argent et l’espoir d’en gagner. Mais les vingt livres qui devaient germer comme du