Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/289

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bon grain avaient été semées en vain dans la verte et séduisante prairie, et Fred allait se trouver au jour de l’échéance sans autre argent à sa disposition que les quatre-vingts livres confiées à sa mère. Le cheval poussif qu’il montait depuis longtemps déjà était un cadeau de son oncle Featherstone ; c’était un luxe permis par son père, les habitudes de M. Vincy le lui faisant accepter comme très raisonnable, même de la part d’un fils quelque peu exaspérant. Ce cheval était donc la propriété de Fred, et, anxieux qu’il était de pouvoir faire face à l’échéance prochaine, il résolut de sacrifier une jouissance sans laquelle la vie perdait singulièrement de son charme.

Il prit cette résolution avec un grand sentiment d’héroïsme, héroïsme que lui inspiraient sa crainte de manquer de parole à M. Garth, son amour pour Mary et le cas qu’il faisait de l’opinion de la jeune fille. En conséquence, il partirait pour la foire aux chevaux de Houndsley, qui se tenait le lendemain matin ; il vendrait tout simplement son cheval et rapporterait l’argent par la diligence. Il ne désirait pas le vendre plus de trente livres, certainement, mais on ne savait pas ce qui pouvait arriver. Ne serait-ce pas folie que de se métier de la fortune à l’avance ? Plus il y pensait, plus une heureuse chance lui paraissait probable, et il trouvait raisonnable de se munir de poudre et de cartouches pour l’attraper au vol. Il irait à cheval à Houndsley avec Bambridge et Horrock, le vétérinaire, et sans rien leur demander de positif, il profiterait de leur avis. Avant de se mettre en route, il se munit des quatre-vingts livres de sa mère.

Fred quitta donc Middlemarch à cheval, avec Bambridge et Horrock, pour se rendre à la foire aux chevaux de Houndsley, et ceux qui le virent ainsi escorté pensèrent que le jeune Vincy, ce jeune homme lancé, s’en allait comme d’ordinaire en quête d’amusements ; lui-même, à part certaine impression inaccoutumée qu’il avait de graves affaires