Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/294

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qui le ferait ; la force des circonstances aiguisait sa perspicacité et lui donnait toute la puissance vive que le soupçon fait naître. Bambridge avait déprécié Diamant, le cheval d’un ami, d’une façon tellement accablante qu’il devait avoir sûrement l’intention de l’acheter. Tous ceux qui regardaient l’animal, Horrock lui-même, étaient manifestement impressionnés de ses qualités. C’était un cheval gris pommelé, et Fred savait par hasard que le domestique de lord Medlicote en cherchait un pareil pour son maître.

Après avoir longtemps déblatéré contre Diamant, Bambridge laissa échapper dans le courant de la soirée, quand le fermier ne fut plus là, qu’il avait vu de plus mauvais chevaux que ça se vendre quatre-vingts livres. Il se contredit bien une vingtaine de fois ; mais, quand on sait à peu près soi-même où est la vérité, on peut bien se rendre compte du véritable jugement d’un homme. Et il fallait bien que Fred comptât pour quelque chose son opinion à lui sur un cheval. Le fermier s’était arrêté devant la jument de Fred, bête respectable quoique poussive, assez longtemps pour laisser voir qu’il y trouvait matière à considération, et il paraissait probable qu’en ajoutant vingt-cinq livres on la lui ferait prendre en échange de Diamant.

Tout en s’habillant à la hâte le matin, il voyait si clairement l’importance de ne pas laisser échapper cette rare bonne fortune, que, quand même Bambridge et Horrock l’en auraient tous deux dissuadé, il ne se serait pas laissé abuser sur leurs mobiles : il eût deviné que ces deux adroits personnages avaient autre chose en vue que les intérêts d’un jeune garnement. En matière de chevaux, la méfiance s’impose ; mais on ne peut, en toutes circonstances, s’en tenir au scepticisme pur ; il nous faut bien croire à quelque chose ; et cet objet de notre foi, ce n’est jamais, malgré tout, que notre propre jugement, même alors qu’il semble le plus aveuglément soumis à celui des autres.