Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/33

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aussi à cette réflexion que M. Brooke était l’oncle de Dorothée.

Il semblait évidemment de plus en plus enclin à faire parler la jeune fille et à l’amener à s’ouvrir à lui, ainsi que Célia en fit la remarque ; souvent aussi, quand il la regardait, sa figure s’éclairait d’un sourire semblable à un pâle rayon de soleil d’hiver.

La veille de son départ, en se promenant le matin avec miss Brooke le long de la terrasse, il lui avait fait entendre qu’il souffrait des tristesses de la solitude, qu’il sentait le besoin de cette joyeuse intimité de la jeunesse qui anime et éclaire par sa présence les travaux fatigants de la maturité. Il dépeignit cette situation avec une parfaite précision digne d’un envoyé diplomatique, convaincu à l’avance du succès de son langage ; et Dorothée écouta et retint chacune de ses paroles avec l’intérêt passionné d’une jeune et ardente nature pour qui chaque pas fait dans le domaine de l’expérience marque une époque nouvelle.

Il était trois heures de l’après-midi quand, par un beau jour d’automne que rafraîchissait une douce brise, M. Casaubon partit en voiture pour son rectorat de Lowick, situé à cinq milles seulement de Tipton.

Dorothée s’en était allée courir à travers le parc, pour être plus libre de s’abandonner à ce rêve d’un avenir possible auquel elle aspirait d’un tremblant espoir, et dont la vision flottait devant ses yeux.

Sans autre compagnie que Monk, le grand chien du Saint-Bernard, gardien habituel des jeunes filles dans leurs promenades, elle marchait rapidement dans l’air pur et vif de la lisière du bois, la couleur montait à ses joues et son chapeau de paille qui étonnerait un peu nos contemporains par sa forme de panier antique, glissa en arrière sur ses épaules. Elle portait ses cheveux bruns ramenés à plat par derrière, de façon à laisser voir tout le contour de la tête,