Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/346

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lesquelles il lui fallait lutter, et qui avaient amené chez lui cette amertume mélancolique, conséquence ordinaire des prétentions exagérées : sa foi religieuse même chancela, lorsque chancela sa confiance dans sa puissance de savant ; et les consolations que procure, dans la foi chrétienne, l’espérance de l’immortalité semblaient dépendre pour lui de l’immortalité de la « Clef de toutes les mythologies », laquelle n’était pas encore écrite. Pour ma part, je le plains profondément. C’est pour le moins un sort pénible que d’être versé dans les choses les plus élevées et pourtant de ne pas jouir d’être présent au grand spectacle de la vie et de ne jamais pouvoir se délivrer de son être borné, affamé, grelottant — de ne jamais être pleinement possédé de cette gloire que nous contemplons, — de ne jamais sentir notre conscience intime se transformer dans un élan d’extase pour devenir le feu vivifiant d’une pensée, l’ardeur d’une passion, l’énergie d’une action, mais de rester toujours un érudit sans inspiration, obscur et scrupuleux dans ses vues, ambitieux et timide à la fois.

À cet état mental qui avait commencé à se dessiner un quart de siècle déjà avant l’époque de notre récit, et à des sentiments ainsi tenus en bride, M. Casaubon avait songé à annexer le bonheur sous la forme d’une jeune et charmante femme ; mais, dès avant son mariage, ainsi que nous l’avons vu, il se trouva saisi d’un nouvel abattement, en sentant que sa nouvelle félicité ne le rendait pas heureux. D’instinct il aspirait déjà à retrouver ses anciennes et plus commodes habitudes. Et plus il s’enfonçait dans la vie conjugale, plus l’idée du devoir à remplir, des convenances à observer, dominait chez lui toute autre satisfaction. Le mariage, comme tout le reste, représentait surtout, pour lui, le respect des convenances extérieures, et Édouard Casaubon était toujours prêt à remplir toutes les exigences semblables d’une façon irréprochable. Le fait même d’introduire Dorothée