Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/373

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le désir de ne pas se trahir, laissa dans son saisissement tomber son ouvrage et se leva aussi machinalement. Lydgate se baissa pour ramasser le crochet. Il se trouva, en se relevant, très près d’un adorable petit visage posé sur un long cou blanc, qu’il avait été habitué à voir obéir aux mouvements onduleux les plus parfaits d’une grâce sûre d’elle-même. Mais, lorsqu’en ce moment il leva les yeux, il y vit comme un tremblement de désespoir qui le toucha d’une façon toute nouvelle ; son regard, comme un éclair, interrogea Rosemonde. Elle était, à cet instant-là, aussi naïve, aussi naturelle qu’elle l’avait jamais été, quand elle n’avait que cinq ans ; elle sentait que les larmes lui étaient venues aux yeux, et qu’elle eût en vain essayé de faire autre chose que de les y laisser, comme des gouttes d’eau posées sur une fleur bleue, ou de leur permettre de descendre le long de ses joues comme elles voudraient.

Ce moment de sincérité fut comme le fin contact d’une plume qui détermine la cristallisation : de ce qui n’était que coquetterie, il fit de l’amour. Rappelez-vous que l’homme qui contemplait ces « ne m’oubliez pas » sous leur rosée, avait le cœur très prompt et très chaud. Il ne sut jamais ce que devint le petit ouvrage qu’il avait ramassé ; une idée venait de traverser tous les replis de son cœur, une idée dont l’effet miraculeux fut de réveiller en lui la puissance de l’amour passionné, qui y sommeillait enseveli, non pas dans un sépulcre fermé, mais sous le tertre le plus mince, le plus facile à percer. Les mots qu’il lui adressa étaient brusques et saccadés ; mais l’accent dont il les prononça les fit résonner comme un ardent et suppliant aveu.

— Qu’y a-t-il ? Vous avez de la peine. Dites-moi ce que c’est, je vous en prie.

Jamais encore pareils accents ne s’étaient adressés à Rosemonde. Comprit-elle les mots qu’il venait de lui dire ? je n’en sais rien ; mais elle regarda Lydgate et les larmes