Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/445

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plissait d’une joie inexprimable à l’idée qu’il était en présence d’une créature digne d’être aimée parfaitement. Je suis porté à croire que ses sentiments, à lui, étaient empreints alors de la même perfection ; car nous avons, nous autres mortels, nos moments divins, lorsque l’amour est satisfait dans l’entière perfection de l’objet bien-aimé.

— J’ai essayé d’apprendre bien des choses, depuis que nous sommes revenus de Rome, dit Dorothée, je peux lire un peu le latin, et je commence à comprendre un tout petit peu le grec. Je puis maintenant mieux aider M. Casaubon. Je sais trouver pour lui des passages ou des citations, et ménager ainsi ses yeux. Mais il est si difficile d’arriver à la science ; on dirait que le chemin qu’il faut faire pour atteindre les hautes pensées épuise les forces des gens, si bien qu’ils n’en peuvent jamais jouir, parce qu’ils sont trop fatigués.

— Si un homme est vraiment fait pour les hautes pensées, il les atteindra presque sûrement avant d’être hors d’état d’en jouir, dit Will entraîné par sa vivacité. Mais sur certaines cordes sensibles Dorothée était aussi prompte que lui ; aussi, s’apercevant d’un changement dans l’expression de sa figure, ajouta-t-il aussitôt : mais il est très vrai que les meilleurs esprits ont quelquefois succombé en travaillant à développer leurs idées.

— Vous me corrigez, dit Dorothée, je m’étais mal exprimée. J’aurais dû dire que les hommes qui ont de grandes pensées s’usent trop vite en travaillant à les développer. Je l’ai toujours senti, même quand j’étais petite fille : et il me semblait alors que l’emploi que j’aimerais à faire de ma vie, serait d’aider quelqu’un engagé dans de grands travaux, pour lui en alléger le fardeau.

Dorothée avait été amenée à lui montrer ainsi ce petit coin d’elle-même sans penser qu’il y eût là pour lui une révélation, Mais jamais jusque-là elle n’avait rien dit à Will qui