Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/456

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Pendant ce temps, l’esprit de Dorothée travaillait innocemment à s’expliquer l’amertume nouvelle de son mari, s’arrêtant, avec une sympathie qui tournait à l’agitation, sur tout ce que Will lui avait raconté de ses parents et de ses grands-parents. Elle passait généralement les heures de solitude de ses journées dans son boudoir, dont elle en était venue à aimer beaucoup la pâle étrangeté. Rien extérieurement n’y avait été changé ; mais, tandis que l’été s’était graduellement avancé sur les champs de l’ouest au delà de l’avenue des Aunes, la chambre triste et nue s’était meublée de ces souvenirs d’une vie intérieure qui semblent remplir l’atmosphère d’un essaim de bons ou de mauvais anges, formes animées quoique invisibles de nos triomphes et de nos défaites morales. C’était en regardant l’avenue vers la voûte lumineuse de l’occident qu’elle avait lutté pour arriver à se donner du courage, et cette habitude avait communiqué à cette vue une influence qui suffisait maintenant à la réconforter. Le pâle sanglier lui-même semblait lui jeter des regards de muette entente et lui dire : « Oui, nous savons. » Le groupe de fines miniatures avait constitué une assistance d’êtres paisibles, dégagés de la préoccupation de leurs destinées terrestres, mais intéressés encore à la vue des sentiments humains, la mystérieuse tante Julia surtout, sur laquelle Dorothée n’avait jamais trouvé facile de questionner son mari.

Et maintenant, depuis sa conversation avec Will, bien des images nouvelles s’étaient groupées pour elle autour de cette tante Julia, la grand’mère de Will ; la présence de cette délicate miniature, si semblable à une figure vivante qu’elle connaissait, l’aidait à concentrer ses sentiments. Quelle injustice de priver une jeune fille de la protection et de l’héritage de sa famille, uniquement parce qu’elle avait choisi un homme pauvre ! Dorothée, ayant de bonne heure fait beaucoup de questions sur tout ce qui l’entourait, était