Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/497

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Maintenant que Mary n’est plus là, je vais vous dire une chose qui n’est connue que de Suzanne et de moi, et que vous ne répéterez à personne. Le vieux misérable voulait faire brûler l’un des testaments par Mary, la nuit même de sa mort, alors qu’elle le veillait seule, et il lui a offert de l’argent qu’il avait à côté de lui dans sa cassette, si elle y consentait. Mais Mary, vous comprenez, ne pouvait rien faire de pareil, toucher à son coffre-fort ou à ses papiers. Maintenant, voyez-vous, le testament qu’il voulait brûler était le dernier, de telle sorte que si Mary lui avait obéi, Fred Vincy aurait eu dix mille livres. Le vieillard s’est donc pourtant retourné de son côté à la fin. Cela touche de bien près cette pauvre enfant ; elle n’a pas pu faire autrement, elle a bien agi, mais, malgré cela, elle a comme le sentiment d’avoir dépouillé quelqu’un de son bien, contre sa volonté. J’éprouve en quelque sorte le même sentiment qu’elle, et si je pouvais offrir quelque compensation au pauvre garçon, au lieu de lui garder rancune pour le dommage qu’il m’a causé, j’en serais bien aise. Et maintenant, monsieur, quelle est votre opinion ? Suzanne ne pense pas comme moi ; elle dit… dites ce que vous pensez, Suzanne.

— Mary ne pouvait agir autrement, quand même elle aurait su les conséquences qui en résulteraient pour Fred, dit mistress Garth interrompant sa couture et regardant M. Farebrother, et elle les ignorait absolument. Une perte qui retombe sur un autre, parce que nous avons bien agi, ne doit pas, à ce qu’il me semble, nous peser sur la conscience.

— C’est seulement du sentiment que je parle. Notre enfant a là-dessus son sentiment particulier, et moi je l’ai comme elle. Vous n’avez pas l’intention que votre cheval écrase un chien quand vous le faites reculer ; mais que cela arrive, cela vous fend le cœur.