Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/498

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— Je suis sûr que mistress Garth serait de votre avis dans ce cas-là, dit M. Farebrother qui, pour une raison ou pour une autre, semblait plus disposé à réfléchir qu’à parler. Tout au plus pourrait-on dire, peut-être, que le sentiment dont vous parlez à propos de Fred soit un sentiment déplacé, ou plutôt une fausse notion ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que personne n’aurait jamais le droit de le lui imposer.

— Bien, bien, dit Caleb, c’est un secret. Vous ne le direz pas à Fred.

— Certainement non ; mais je lui porterai les bonnes nouvelles. Je lui dirai que vous êtes en état de mieux supporter maintenant, la perte qu’il vous a causée.

M. Farebrother quitta la maison bientôt après, et voyant Mary dans le verger avec Letty, il alla lui dire adieu. Elles formaient un joli tableau, dans la lumière du couchant, qui faisait ressortir l’éclat des pommes mûres sur les vieilles branches à feuilles rares, Mary dans sa robe de guingan couleur lavande avec des nœuds noirs, portant un panier, tandis que Letty, dans sa robe nankin passablement usée, ramassait les pommes tombées. Si vous voulez avoir de Mary un portrait plus exact, vous n’avez qu’à regarder demain dans la rue remplie de monde, et vous y verrez des figures comme la sienne, vous en verrez dix pour une, pour peu que vous vous donniez la peine d’y faire attention ; elle ne sera pas parmi ces filles de Sion, à l’air altier, qui marchent le cou haut et droit, le regard provocant, sans s’oublier jamais. Laissez passer celles-là et arrêtez vos yeux sur quelque petite personne grasse et brune, à la démarche assurée mais tranquille, qui regarde autour d’elle, sans supposer que personne la regarde. Si elle a la figure large, le front carré, des sourcils bien dessinés, des cheveux noirs frisés, dans le regard, une certaine expression d’enjouement, dont sa bouche garde le secret, et quant au reste des traits