Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/114

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une jeune personne comme il faut ; mais ces jouissances n’étaient que des accessoires, auxquels l’imagination pouvait suppléer. La joie unique à laquelle aspirait son âme, c’était d’avoir un bureau de changeur sur un quai très fréquenté, d’être entouré de coffres dont il garderait les clefs, et de conserver un maintien sublimement froid en maniant les monnaies de toutes les nations, tandis que la cupidité impuissante le regarderait avec envie de l’autre côté d’un grillage de fer.

Et quand on le supposait établi à Stone-Court pour la vie, Joshua se disait que le moment n’était plus loin, maintenant, où il s’établirait sur le quai du Nord, avec l’aménagement le plus complet de coffres-forts et de serrures.

Quant à M. Bulstrode, il interpréta la vente des terres de Joshua Rigg comme une grâce divine, témoignant sans doute d’une sanction à ses projets ; sans excès de confiance d’ailleurs dans cette interprétation, il offrit ses actions de grâce au ciel dans une phraséologie mesurée. Ses doutes ne venaient pas des rapports possibles de l’événement avec la destinée équivoque de Joshua Rigg, mais de la réflexion que, dans cette grâce même, il pouvait y avoir un châtiment pour lui, comme l’entrée de M. Farebrother dans la cure en était clairement un.

Et ce n’était pas là le langage de M. Bulstrode vis-à-vis des autres, pour le plaisir de les tromper : c’était le langage qu’il se tenait à lui-même, — c’était sa façon d’expliquer les événements, aussi naturelle que peut l’être aucune de vos théories, si par hasard vous n’êtes pas d’accord avec lui.

Car l’égoïsme qui entre dans nos théories n’en affecte pas la sincérité ; plus notre égoïsme au contraire est satisfait, plus notre foi est robuste.

Cependant, encouragement ou châtiment, à peine quinze mois s’étaient-ils écoulés depuis la mort de Pierre Feather-