Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aimable à vous de ne pas désirer me revoir, dit Dorothée. Son habitude de parler avec une candeur parfaite s’affirmait encore au milieu de son trouble et de son agitation : Allez-vous partir tout de suite ?

— Dans très peu de temps, je pense. Mon intention est d’aller à Londres et de me faire avocat, puisque c’est là, dit-on, la préparation nécessaire à tout emploi public. La besogne politique ne va pas manquer, et je veux tâcher d’en prendre ma part. Bien d’autres sont arrivés à se faire une position honorable, qui n’avaient comme appui ni famille ni argent.

— Ce sera d’autant plus honorable, dit Dorothée avec chaleur. Et puis vous avez tant de talent. J’ai su par mon oncle combien vous étiez éloquent en public, si bien que chacun regrette quand vous cessez de parler, et quel art vous avez d’expliquer clairement les choses. Et vous tenez à ce que justice soit rendue à tout le monde. Cela me rend bien heureuse. Quand je vous ai vu à Rome, je croyais que vous n’aviez souci que d’art et de poésie et de ces choses qui embellissent la vie pour nous autres, favorisés du sort. Mais je sais maintenant que vous vous occupez du reste de l’humanité.

Tout en parlant, Dorothée ne se souvenait plus de son embarras de tout à l’heure ; elle était redevenue semblable à la Dorothée d’autrefois. Elle regardait Will de son franc regard plein, exprimant une confiance délicieuse.

— Vous approuvez donc mon projet de m’éloigner pendant quelques années, et de ne revenir ici que lorsque j’aurai acquis quelque distinction dans le monde ? demanda Will, tâchant de concilier la plus grande fierté avec le plus grand effort pour arracher à Dorothée une expression de sa sympathie la plus profonde.

Elle ne se rendit pas compte du temps qui s’écoula avant sa réponse. Elle avait tourné la tête et regardait par la