Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être le caractère négatif de Rosemonde, le manque de sensibilité qui se montrait dans son indifférence pour ses désirs particuliers à lui et ses vastes desseins. La première grande déception, il l’avait supportée : il avait vu qu’il lui fallait renoncer au tendre dévouement et à l’adoration docile de la femme idéale, et prendre la vie à un degré plus bas d’espérance, comme la prennent les hommes qui ont perdu un de leurs membres. Mais la femme réelle n’avait pas seulement ses droits, elle avait encore une prise sur le cœur de son mari, et c’était le désir intense de Lydgate que cette prise restât puissante. Dans le mariage, une certitude comme celle-ci : « Elle ne m’aimera jamais beaucoup » est plus facile à supporter que cette crainte : « Je ne l’aimerai plus. Il Aussi, après cet éclat, l’effort intérieur de Lydgate s’attacha uniquement à excuser Rosemonde et à s’en prendre aux pénibles circonstances dont il était en partie l’auteur. Il essaya ce soir-là, en la caressant, de guérir la blessure qu’il lui avait faite le matin, et il n’était pas dans la nature de Rosemonde de bouder ni de repousser des avances ; elle accueillit même avec une joie sincère les témoignages de l’amour de son mari, et de l’influence qu’elle conservait sur lui. Mais ceci était quelque chose de tout à fait distinct d’un sentiment d’amour pour lui.

Lydgate n’eût pas voulu revenir de quelque temps sur le sujet de son plan pour la maison ; il était décidé à l’exécuter, tout en en reparlant le moins possible. Mais ce fut Rosemonde elle-même qui l’aborda un jour au déjeuner en disant doucement :

— Avez-vous déjà parlé à Trumbull ?

— Non, répondit Lydgate, mais j’entrerai chez lui, en passant, ce matin. Il n’y a pas de temps à perdre.

Il prit la question de Rosemonde pour un signe qu’elle retirait son opposition, et lui baisa le front d’un air caressant, lorsqu’il se leva pour sortir.