Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/291

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je suis fâché contre vous, c’est parce que vous ne semblez pas voir à quel point tout manque de franchise nous sépare. Comment pourrais-je désirer vous faire de la peine en quoi que ce fût, par mes paroles ou ma conduite ? Quand je vous blesse, c’est une partie de ma propre vie que je blesse. Jamais je ne serais fâché contre vous, si vous vouliez être tout à fait sincère avec moi.

— Je ne voulais que vous empêcher de nous précipiter dans la misère, sans aucune nécessite, dit Rosemonde, tandis que ses larmes revenaient sous l’influence d’un sentiment plus doux, maintenant que son mari s’était radouci. C’est si affreusement dur d’être amoindris et mal vus ici par toutes les personnes de notre connaissance et de vivre d’une façon si misérable. Je voudrais être morte avec l’enfant.

Elle parlait et pleurait avec cette douceur qui rend les larmes toutes-puissantes sur un homme au cœur tendre. Lydgate rapprocha sa chaise de celle de Rosemonde, et, de sa forte et tendre main, appuya sa tête délicate contre sa joue. Il ne fit que la caresser sans rien dire, et qu’y avait-il à dire, en effet ? Il ne pouvait lui promettre de la protéger contre la misère qu’elle redoutait, car il ne voyait pas de moyens assurés de le faire. Quand il se leva pour sortir, il se dit qu’elle était dix fois plus à plaindre que lui. N’avait-il pas sa vie au dehors et les constants appels adressés au nom des autres à son activité ! Il désirait tout excuser en elle s’il le pouvait. Mais il était inévitable que dans cette disposition de bienveillante tendresse, il ne songeât plus à elle que comme à un être d’une espèce différente et infiniment plus faible. Et cependant elle l’avait dompté.