Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/305

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l’argent que lui rapportait sa clientèle immédiatement absorbé par le payement des dettes antérieures, courant le risque, si l’on savait le fond des choses, de se voir refuser à crédit ses achats journaliers, et par-dessus tout avec le spectacle désespérant du mécontentement de Rosemonde qui le hantait à toute heure, Lydgate avait fini par se rendre compte qu’il se résignerait inévitablement à demander secours à l’un ou à l’autre. Il avait pensé d’abord à écrire à M. Vincy ; mais, en interrogeant Rosemonde, il se trouva, comme il l’avait soupçonné, qu’elle s’était déjà adressée deux fois à son père, en dernier lieu après la déception qu’elle avait éprouvée du refus de sir Godwin ; « et papa avait dit que Lydgate devait se tirer d’affaire tout seul. Papa a dit qu’il en était venu, après une succession de mauvaises années, à recourir de plus en plus au crédit pour son commerce, et qu’il avait dû renoncer pour son propre compte à bien des douceurs ; il avait trop de charges pour pouvoir disposer seulement d’une centaine de livres. Que Lydgate, a-t-il dit, s’adresse donc à Bulstrode ! Ils ont toujours été comme le gant et la main ! »

En réalité, Lydgate lui-même en était arrivé à la conclusion que, s’il devait emprunter quelqu’un, ses relations avec Bulstrode étaient de nature à donner à sa demande une apparence légitime, différente d’un service purement personnel, comme c’eût été le cas vis-à-vis de tout autre. Bulstrode avait contribué indirectement à lui faire perdre sa clientèle et n’avait pas été médiocrement satisfait d’avoir un médecin à associer à ses plans. Et qui, parmi nous, s’est jamais vu réduit à l’espèce de dépendance où se trouvait Lydgate, sans essayer de croire à certains droits faits pour rendre moins dure l’humiliation de demander ? Dans ces derniers temps, il est vrai, un ralentissement inusité d’intérêt pour l’hôpital s’était comme fait sentir chez Bulstrode ; mais aussi sa santé était devenue plus mauvaise et présentait tous les signes d’une affection nerveuse profondément enracinée.