Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/333

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avait plusieurs fois, en agissant d’après ses idées, obtenu des résultats favorables.

« Cet homme est sérieusement malade, pensait-il, mais il y a encore de la ressource en lui. Il a l’air d’être un objet de compassion pour Bulstrode. C’est une chose étrange que le mélange de dureté et de tendresse que l’on rencontre côte à côte dans le caractère des hommes. Bulstrode paraît bien l’être le plus dépourvu de sympathie que j’aie jamais vu, vis-à-vis de certaines gens, et cependant il s’est donné beaucoup de peine et a dépensé beaucoup d’argent pour des œuvres de bienfaisance. Je suppose qu’il a quelque moyen de découvrir ceux auxquels le ciel s’intéresse, et il a décidé que le ciel ne s’intéressait pas à moi. »

Ce filet d’amertume provenait chez lui d’une source abondante qui, en s’élargissant toujours, remplissait le courant de ses pensées à mesure qu’il approchait de Lowick-Gate. Il n’était pas rentré depuis sa première entrevue de la matinée avec Bulstrode, ayant été rejoint à l’hôpital par le messager du banquier et, pour la première fois, il revenait chez lui à bout de ressources, ne voyant plus d’expédient nulle part ni d’espoir de se procurer de l’argent, cet argent nécessaire pour s’épargner à lui-même la perte fatale de ce qui rendait sa vie conjugale tolérable encore, de tout ce qui les sauvait, lui et Rosemonde, de cet isolement absolu dans lequel ils seraient forcés de reconnaître de combien peu de réconfort ils étaient l’un pour l’autre. Il était plus supportable de vivre sans recevoir de tendresse, que de sentir que sa tendresse à lui ne pouvait compenser pour elle d’autres privations. Les souffrances que faisaient endurer à son orgueil les humiliations passées et à venir étaient assez douloureuses ; c’est à peine cependant s’il les distinguait lui-même de cette douleur plus aiguë qui les dominait, la douleur de prévoir que Rosemonde en viendrait à le considérer comme la cause première de ses déceptions et de son malheur. Il n’avait