Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/393

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sentit anxieuse de partir avant d’avoir rien entendu de plus explicite. Vivement touchée de voir Célina éviter maintenant, tout juste comme mistress Hackbutt auparavant, de prendre garde à ce qu’elle disait de son mari, tout comme elles eussent évité de s’arrêter à une honte personnelle, elle commençait à acquérir la certitude troublante qu’il s’agissait d’un malheur plus grave qu’une simple perte d’argent.

Elle dit adieu avec une hâte fiévreuse et se fit conduire à l’entrepôt de M. Vincy. Pendant ce court trajet, le sentiment de son ignorance donna à son inquiétude un tel degré de force qu’à son entrée dans le cabinet de son frère, ses genoux tremblaient, et son visage ordinairement florissant était d’une pâleur mortelle. La vue de sa sœur produisit sur lui quelque chose d’analogue ; il se leva pour aller à sa rencontre, la prit par la main et s’écria, dans un mouvement soudain :

— Dieu vous aide, Henriette, vous savez tout !

Ce moment fut peut-être plus pénible que tout ce qui suivit. Il renfermait pour elle l’épreuve décisive où, dans les grandes crises d’émotion, se révèle le penchant d’une nature, et où se laisse pressentir l’acte final qui mettra fin à la lutte antérieure. Sans le souvenir de Raffles, elle aurait pu ne songer qu’à un désastre momentané, mais maintenant, sous le regard et à ces mots de son frère, entra dans son esprit l’idée de quelque coupable faute de son mari ; puis sous l’empire d’une terreur croissante l’image de ce mari déshonoré se présenta à elle ; puis, après un instant de honte cuisante, où elle sentit tous les regards du monde fixés sur elle, d’un seul bond de son cœur, elle fut aux côtés de son mari, s’associant tristement mais sans reproches à sa honte et à son isolement. Tout ceci se passa en elle en un instant rapide comme l’éclair, tandis qu’elle s’affaissait sur une chaise et levait les yeux vers son frère penché au-dessus d’elle.