Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/403

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nulle destinée ne pouvait être aussi cruellement triste que la sienne. Avoir épousé un homme qui était devenu l’objet de soupçons infâmes ! Dans bien des cas, la honte vous apparaît comme ce qu’il y a de plus odieux dans le crime, et il eût fallu à Rosemonde beaucoup plus d’intelligente réflexion qu’il ne lui en était jamais entré dans la tête, pour pouvoir sentir à cette heure que son malheur était moindre que si son mari avait été justement convaincu de quelque chose de criminel. Elle ne voyait que la honte, et c’était là l’homme qu’elle avait innocemment épousé avec l’idée que lui et sa famille seraient une gloire pour elle ! Elle se montra comme d’ordinaire pleine de réserve vis-à-vis de ses parents et déclara seulement que, si Lydgate avait agi selon ses désirs, il aurait depuis longtemps quitté le pays.

— Elle supporte cela au delà de toute expression, dit sa mère après son départ.

— Ah ! Dieu merci ! fit M. Vincy qui était fort abattu.

Mais Rosemonde revint chez elle avec un sentiment de répulsion justifiée pour son mari. Qu’avait-il fait en réalité et comment avait-il agi ? Elle l’ignorait. Pourquoi ne lui avait-il pas tout dit ? Il ne lui parlait pas de ce sujet et naturellement ce n’était pas à elle à lui en parler. En ce moment l’idée lui vint de demander à son père de la laisser revenir à la maison paternelle ; mais, en y réfléchissant, cette perspective lui sembla horriblement triste : une femme mariée qui retourne vivre chez ses parents, qu’était-ce que la vie dans une situation pareille ? Elle ne pouvait pas s’y voir.

Les deux jours suivants, Lydgate observa un changement dans ses manières et crut qu’elle avait appris les mauvaises nouvelles. Lui en parlerait-elle ou s’obstinerait-elle à garder un silence qui semblait impliquer qu’elle le croyait coupable ? Rappelons-nous qu’il était dans un état d’esprit maladif où tout contact lui était une douleur. Certainement