Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/405

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à interroger Rosemonde, espérant que leur conversation dissiperait le brouillard glacé qui s’était amassé entre eux, mais il se trouva arrêté dans sa résolution par un ressentiment désespéré. Ce chagrin même, aussi bien que tous les autres, elle semblait le considérer comme s’il n’atteignait qu’elle. À ses yeux, Lydgate était toujours un être à part, faisant ce qu’elle n’aimait pas. Il se leva avec un mouvement de colère et se promena par la chambre. Et pendant tout ce temps il avait la conviction intime qu’il lui faudrait maîtriser cette colère, tout dire à Rosemonde et la convaincre ; car il avait appris maintenant que c’était à lui à se plier à la nature de sa femme, et que moins elle avait de sympathie, plus il devait lui en donner.

Bientôt il revint à son intention de s’ouvrir à elle. Il ne fallait pas perdre l’occasion. S’il pouvait lui faire comprendre un peu sérieusement qu’il fallait affronter l’opprobre et non pas le fuir, et que toute cette détresse était venue de son besoin désespéré d’argent, ce serait le moment de lui inculquer profondément l’idée qu’ils devaient s’unir dans une résolution commune pour vivre avec le moins d’argent possible, afin de pouvoir traverser les temps difficiles sans perdre l’indépendance. Il indiquerait d’une manière précise les mesures nécessaires et l’amènerait à s’y mettre de bonne volonté. Il était tenu d’essayer et que pouvait-il faire d’ailleurs ?

Il ne savait pas depuis combien de temps il se promenait ainsi dans son agitation d’un bout de la chambre à l’autre ; mais Rosemonde trouvait que cela devenait long et désirait qu’il s’assît. Elle aussi avait réfléchi que c’était une occasion d’imposer à Tertius ce qu’il avait à faire. Quel que fût le vrai dans toutes ces misères, il y avait là quelque chose de terrible qui s’affirmait de soi-même. Lydgate s’assit enfin, non à sa place ordinaire, mais sur un siège plus rapproché de Rosemonde, et se penchant de son côté il la regarda