Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/412

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que l’argent accepté de Bulstrode, sans rien changer à l’accomplissement étroit de son devoir, avait pu modifier de façon ou d’autre sa première manière de voir et sa conduite professionnelle.

— J’ai appris depuis, ajouta-t-il, que Hawley avait fait interroger la femme de charge de Stone-Court, et qu’elle avait dit avoir donné au malade tout le flacon d’opium que j’avais laissé là, plus une forte dose de brandy. Mais cela n’était pas contraire aux prescriptions habituelles en pareil cas des médecins même les plus autorisés. Les soupçons contre moi n’ont pas eu de prise de ce côté : ils reposent sur le fait connu que j’ai accepté de l’argent, que Bulstrode avait des motifs puissants pour désirer la mort de cet homme, et que cet argent était le salaire de ma complicité dans je ne sais quelles menées illicites contre le malade, que, dans tous les cas, j’avais accepté le prix de mon silence. Ce sont là justement les soupçons qui s’attachent le plus obstinément parce qu’ils ont leur siège dans la disposition naturelle des hommes et qu’on ne peut les réfuter. Comment on en est venu à désobéir à mes prescriptions, c’est là une question à laquelle je ne puis répondre. Il est encore possible que Bulstrode ait été innocent de toute intention criminelle, possible même qu’il ait été étranger à cette désobéissance et qu’il se soit simplement abstenu d’en parler. Mais tout cela n’a rien à faire avec la conviction publique. C’est un de ces cas où l’homme est condamné en gros ; sans en avoir la certitude absolue, on croit qu’il a commis un crime, et on le croit uniquement parce qu’il avait un motif de le commettre ; et je me suis trouvé dans l’accusation de Bulstrode parce que j’ai accepté son argent. Je suis bel et bien flétri, comme un épi gâté. La chose est faite et ne peut être défaite.

— Oh ! cela est dur, dit Dorothée. Je comprends combien il vous est difficile de vous justifier vous-même. Mais