Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/424

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silence absolu ; il ne lui était plus aussi facile de parler de Will depuis qu’un lien plus profond existait entre eux, un lien consacré par le mystère même qui devait à jamais l’envelopper. Mais ce silence accrut encore, dans leur ténacité, l’ardeur de ses sentiments ; et ce malheur dans la destinée de Will, dont d’autres se réjouissaient, à ce qu’il semblait, de lui jeter l’opprobre au visage, ne fit qu’exalter l’enthousiasme de la pensée toujours fidèle de Dorothée.

Elle ne nourrissait pas le rêve d’une union plus intime avec lui, mais elle n’avait pas pris pour cela l’attitude du renoncement. Elle avait accepté très simplement tout ce qui l’avait attachée à Will, comme faisant partie des soucis de son mariage et se fût reproché d’entretenir en elle-même un chagrin intérieur de ce qu’elle n’était pas complètement heureuse ; elle était bien plutôt disposée à se plaindre des superfluités de son sort. Il lui suffisait alors que les plus grandes joies de sa tendresse fussent toutes dans le souvenir ; et l’idée du mariage ne se présentait à elle que sous la mention désagréable de quelque prétendant dont elle ne savait rien, mais dont les mérites bien établis aux yeux de sa famille ne seraient pour elle qu’une cause de tourments.

— Quelqu’un qui gouvernera votre fortune pour vous, ma chère, telle était la forme attrayante donnée par M. Brooke à ses indications sur le caractère qui pourrait le mieux lui convenir dans son futur époux.

— J’aimerais à avoir moi-même la direction de ma fortune, si je savais qu’en faire, dit Dorothée.

Elle demeurait ainsi inébranlable dans sa résolution de ne jamais se remarier ; mais dans la longue vallée de sa vie qui semblait si monotone et si dénuée de tous points lumineux, tandis qu’elle marcherait le long de la route au milieu de ses compagnons de voyage, une main amie viendrait à elle pour l’aider à se diriger. C’était dans ses sentiments pour Will Ladislaw qu’elle s’absorbait à ses heures de veille, et