Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/440

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pressa violemment la tête de ses deux mains et s’écria avec un gémissement :

— Oh oui, je l’aimais !

Puis vinrent des heures où la souffrance accumulée la secoua trop complètement pour lui laisser la force de penser. Elle ne pouvait que pleurer, murmurant à haute voix entre ses sanglots la perte de sa confiance en lui, cette confiance qu’elle avait vue naître dans son germe à Rome dès le premier jour et, depuis, toujours gardée vivante, la perte de sa joie, cette joie de s’attacher avec un amour et une foi silencieuse à un être, méprisé des autres, mais digne de son estime, la perte de ce qui faisait son orgueil de femme, l’orgueil qu’elle avait eu de régner dans son souvenir, la perte de sa chère et vague perspective d’espoir, qu’un jour, dans quelque sentier, ils se rencontreraient, qu’ils se retrouveraient toujours les mêmes, et que toutes les années écoulées derrière eux ne leur seraient plus alors que comme un jour rapide.

Durant ces heures elle refit ce que les yeux miséricordieux de la solitude ont contemplé depuis des siècles dans les luttes morales de l’homme ; elle implora les misères physiques, et le froid et la souffrance qui épuisent, de venir la délivrer de la puissance mystérieuse et incorporelle de sa douleur ; elle se coucha sur le plancher nu et laissa le froid de la nuit se répandre autour d’elle, tandis que des sanglots secouaient son long corps de femme comme celui d’un enfant au désespoir.

Deux images, deux formes vivantes, partageaient son cœur déchiré, comme serait le cœur d’une mère qui croit voir son enfant coupé en deux par le poignard et serre sur sa poitrine l’un des sanglants tronçons, tandis que son regard empreint d’une agonie désespérée s’élance vers l’autre aux bras de la femme menteuse qui n’a jamais connu les douleurs d’une mère.