Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/442

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puissants sanglots, et sur le froid parquet elle pleura tant qu’elle s’endormit.

Aux heures froides de l’aube matinale, quand tout était encore obscur autour d’elle, elle se réveilla, non pas en se demandant avec surprise où elle était et ce qui s’était passé, mais avec le sentiment le plus clair qu’elle savait regarder la douleur en face. Elle se leva, s’enveloppa de chaudes couvertures et s’assit dans un grand fauteuil dans lequel elle avait souvent veillé autrefois. Elle était assez vigoureuse pour supporter une pareille nuit sans se sentir autrement malade que d’un peu de malaise et de fatigue ; mais elle s’était réveillée à une situation nouvelle. Il lui semblait que son âme avait été délivrée du terrible combat qui se livrait en elle ; elle ne luttait plus avec sa douleur, mais elle pouvait l’avoir auprès d’elle comme une compagne de toutes les heures et lui faire partager ses pensées, et maintenant les pensées se pressaient en elle. Il n’était pas dans la nature de Dorothée de rester, au delà de la durée d’un paroxysme, dans la cellule étroite d’une infortune personnelle, dans la vaine souffrance d’un sentiment qui ne comptait dans la destinée d’un autre que comme un accident secondaire.

Elle commença donc à se retracer toute cette matinée de la veille, se forçant de revenir et de s’arrêter à chaque détail et à sa signification possible. — N’y avait-il donc qu’elle seule dans cette scène ? Elle s’efforçait d’y penser comme si tout cela se rattachait à la vie d’une autre femme, une femme au-devant de laquelle elle était allée avec le désir d’éclairer et de consoler un peu sa jeunesse obscurcie de nuages. Dans son premier mouvement d’indignation jalouse et de dégoût, lorsqu’elle était sortie de cette affreuse chambre, elle avait rejeté loin d’elle toute la pitié qui avait été son premier mobile. Elle avait enveloppé à la fois Will et Rosemonde de son brûlant mépris, et il lui semblait que Rosemonde avait disparu à tout jamais de ses regards.