Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/498

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pas besoin de louer qui que ce fût pour avoir écrit un livre, puisque ce livre était toujours, en définitive, écrit par quelqu’un d’autre.

Fred persévéra dans une irréprochable conduite. Quelques années après son mariage, il avoua à Mary qu’il était en partie redevable de son bonheur à M. Farebrother qui lui avait, au bon moment, donné une fameuse leçon. Je ne dirai pas qu’il ne fut plus jamais la dupe de sa disposition à espérer : le produit des moissons ou les profits d’une vente de bétail tombaient généralement au-dessous de son estimation ; il était toujours porté à croire qu’il pourrait gagner de l’argent sur le cheval qu’il achetait, et quand le cheval devenait mauvais, c’était naturellement la faute de l’animal, et non la faute du jugement de Fred, comme le faisait observer Mary. Il conserva son amour du cheval, mais il se permettait rarement une journée de chasse, et quand il se l’accordait par hasard, on remarquait qu’il se laissait, sans protester, railler de sa timidité en face des clôtures, croyant voir Mary et les garçons assis sur la palissade aux cinq barreaux ou montrant leurs têtes bouclées entre les haies et les fossés.

Il eut trois garçons. Mary n’était pas fâchée de ne mettre au monde que des fils ; et quand Fred exprimait le désir d’avoir une fille qui lui ressemblât :

— Ce serait, lui répondait-elle en riant, une trop grande épreuve pour votre mère.

Mistress Vincy, dont les années déclinaient et dont l’état de maison était loin d’avoir le même éclat que jadis, se consolait en voyant que deux au moins des garçons de Fred étaient de vrais Vincy et n’avaient rien des traits des Garth. Mais Mary se réjouissait tout bas en voyant la ressemblance du plus jeune des trois avec son père du temps où celui-ci portait la petite veste ronde, et sa merveilleuse justesse de coup d’œil, lorsqu’il jouait aux billes ou abattait à coups de pierre les poires mûres.