Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/502

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Une vie que le sentiment n’eût pas remplie, aurait été impossible à Dorothée, et sa vie était en même temps remplie désormais par une activité bienfaisante, dont elle n’avait plus de peine à découvrir et à se tracer la voie à elle-même. Will se donna avec ardeur et prit une part utile à la vie publique, en ces temps où l’on se mettait aux réformes avec l’espérance toute nouvelle, espérance bien diminuée de nos jours, d’un bien immédiat à réaliser. Il finit par être envoyé au Parlement par un collège de commettants qui paya les frais de l’élection. Dorothée n’eût rien pu souhaiter davantage (étant donné que des maux existaient) que de voir son mari engagé au fort de la lutte contre ces maux et de lui donner elle-même l’appui de sa tendresse d’épouse. Beaucoup de ceux qui la connaissaient estimaient que c’était grand dommage qu’une créature de tant de valeur personnelle eût été absorbée dans la vie d’un autre et ne fût connue dans un certain cercle que comme épouse et comme mère. Mais personne ne définit exactement en quoi elle aurait pu se distinguer, pas même sir James Chettam, qui se bornait à cette simple affirmation qu’elle n’aurait pas dû épouser Ladislaw.

Cette opinion du baronnet n’amena pas toutefois une séparation durable, et il y eut, dans la manière dont la famille se vit de nouveau réunie, quelque chose de caractéristique de la part de tous ceux qui y étaient intéressés. M. Brooke ne put résister au plaisir de correspondre avec Will et Dorothée ; et un matin que sa plume s’était remarquablement étendue sur les perspectives de la réforme municipale, elle s’emporta jusqu’à leur adresser une invitation à venir à la Grange ; ceci une fois écrit, il n’y avait plus rien à y changer à moins de faire le sacrifice, à peine imaginable, de la précieuse lettre tout entière. Pendant les mois qu’avait duré cette correspondance, M. Brooke, en causant avec sir James Chettam, avait toujours eu soin d’insinuer ou de laisser supposer