Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sement de toutes ses idées : et comme lui-même il a frémi d’horreur devant l’ascétisme chrétien, les premiers critiques de Bhagavat, mal habitués à un breuvage philosophique aussi amer, frémiront à leur ouret chargeront d’imprécations Maitreya, Narada et Leconte de Lisle.

Mais cette morale, dans la pensée des sages hindous, avait un fondement métaphysique, la doctrine de l’Illusion : toute agitation est vaine, tout attachement aux choses absurde et toute action stérile, puisque le monde entier sur lequel portent l’action, le désir, même la pensée, monde sensible et monde intelligible, est un monde illusoire : rien n’est réel. C’est cette idée de l’Illusion que Leconte de Lisle embrasse comme la délivrance suprême. L’amour dont il s’éprend pour elle s’explique aisément. Il est en face d’un monde de choses éphémères, matériel et périssable ; il le hait ; rien ne lui donne plus de jouissance que de pouvoir le nier : l’idée de l’Illusion est une arme que l’ancien spiritualisle en lui retourne contre l’immonde matière[1]. Ce n’est plus le néant final qu’il souhaite : ce qu’il affirme, c’est le néant présent, actuel, de ce qui nous entoure, et sa grande aspiration est de s’en donner la sensa-

  1. Les Ascètes : l’expression est dans les deux textes. Celui de 1846 a son intérêt :

    Voici le dernier jour de la matière immonde,
    Et la mort va l’étreindre entre ses bras maudits !